Le 28 février 2023 à 21h39, Yegor Balazeikin allume une bouteille de diesel devant le bureau de recrutement militaire de Kirovsk et la lance contre le bâtiment. Les flammes s’éteignent immédiatement, comme le montrent les images d’une caméra de surveillance. Yegor essaie à nouveau, s’agenouillant dans la neige pour allumer une autre bouteille. Le deuxième essai produit de petites flammes, mais elles disparaissent rapidement.
Yegor Balazeikin est finalement incapable d’incendier cette installation du nord-ouest de la Russie qui envoie de jeunes hommes à la guerre en Ukraine. Les seules choses qui restent de sa tentative en cette soirée d’hiver : des taches de diesel, du verre brisé et un morceau de tissu.
Il ne s’enfuit pas. La police le trouve à un arrêt de bus à seulement 100 mètres de là. “L’as-tu fait ?” lui demandent les policiers. Yegor répond : “Oui !”
Yegor a 16 ans et veut que son acte désespéré de protestation contre la guerre en Ukraine soit entendu. Il veut contraindre les autorités russes à le regarder en face. “Je suis contre la guerre. Je ne veux plus que des gens meurent”, déclare-t-il lors de l’interrogatoire cette nuit-là au poste de police de Kirovsk, situé à une heure de route de Saint-Pétersbourg.
Le prix de la forme de protestation qu’il a choisie a été élevé. Outre son arrestation, il a également dû passer les derniers mois en détention provisoire. Et pas seulement pour ”tentative de dégradation de biens”, comme l’indiquait la plainte initiale, mais pour “terrorisme”.
Le procès contre Yegor Belazeikin, maintenant âgé de 17 ans, a commencé cette semaine à Saint-Pétersbourg. Il est accusé de deux “tentatives d’attentat terroriste” et risque une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans.
Yegor est l’un des plus jeunes accusés à avoir choisi une forme de protestation aussi radicale contre la guerre. Il dira plus tard à ses parents qu’il était trop tard pour simplement descendre dans la rue avec une pancarte de protestation. “Nous avons manqué ce moment-là.”
Depuis le début de la guerre, des dizaines de personnes en Russie ont tenté d’incendier des bureaux militaires, des bâtiments de sécurité ou d’autres structures administratives. Jusqu’en septembre, un groupe appelé Zone de Solidarité, qui offre un soutien aux militants anti-guerre confrontés à des problèmes avec les autorités, a enregistré 145 attaques incendiaires de ce type. Les auteurs partagent la conviction que les moyens pacifiques de protestation ne sont plus suffisants.
Même après 20 mois de guerre, de nombreux Russes continuent de soutenir la campagne contre l’Ukraine, même de manière impassible. Ils essaient simplement d’ignorer les combats, les roquettes et les morts. Ceux qui osent exprimer publiquement leurs sentiments anti-guerre sont immédiatement emmenés. Il suffit de tenir une pancarte anodine avec la mention “Non à la guerre” ou même une feuille de papier vierge pour être arrêté et condamné à une amende.